"La vertu du Chébé c’est de rendre les cheveux lisses et longs en six à neuf mois", assure la coiffeuse. Comme d’autres produits naturels locaux, il gagne en popularité en Afrique face aux cosmétiques « chimiques », de plus en plus décriés.
La recette de Madame Moussa est simple : elle torréfie et broie elle-même les graines de Chébé —croton gratissimus de son nom scientifique, un arbuste que l’on trouve en abondance dans la région montagneuse du Guéra, dans le centre du Tchad. Elle y ajoute des graines de cerise et du clou de girofle également réduits en poudre, "pour le parfum".
La chevelure de sa cliente du jour atteint le bas du dos. Sur chacune de ses mèches, elle applique sa mixture, des racines aux pointes avant de réaliser le Gourone, une coiffure traditionnelle : plusieurs grosses tresses enroulées sur elles-mêmes et surmontées de deux nattes — ou plus — encadrant le visage pour dévoiler le front.
Héritage ancestral
La tradition se transmet de génération en génération depuis des lustres. "Nous avons hérité ce métier de nos mamans, elles aussi ont appris avec nos grands-mères, car au village nos mères nous tressent exclusivement avec la poudre de Chébé", explique Madame Moussa, qui gagne 2.000 francs CFA (environ 3 euros) par coiffure.
Un service que seul certaines peuvent s’offrir dans le deuxième pays le moins développé au monde selon le dernier classement de l’ONU, et où plus d’un tiers de la population reste engluée dans une extrême pauvreté, selon la Banque mondiale.
Un long rituel
"Le fait que les femmes tchadiennes qui utilisent le Chébé aient les cheveux aussi longs, ce n’est pas le Chébé le produit miracle : elles ont une matière première qu’on n’a presque plus, en Afrique mais surtout en Europe, c’est le temps", démystifie Nsibentum, un "cheveutologue" congolais de Brazzaville très populaire sur les réseaux sociaux à travers le continent, où il multiplie conférences et émissions télévisées sur les rites capillaires ancestraux africains.
"C’est le temps que vous allez passer, justement, à faire du soin régulièrement qui va faire que vos cheveux vont pousser", explique-t-il au téléphone. Selon lui, le rituel capillaire souffre d’une mauvaise image, celui d’un long moment que l’on "subit". "Ce n’est pas encore vraiment dans les mœurs de prendre beaucoup de temps pour faire des soins des cheveux", regrette-t-il.
Tendance « nappy »
"J’ai remarqué que les Tchadiennes essaient de partir vers le naturel", constate pour sa part Manoubia Abdel-Nasser Kadergueli, 30 ans, créatrice de la marque Mandé Balla Cosmétic, qui propose des produits capillaires à base de Chébé.
"Elles sont maintenant dans le ‘nappy’, une contraction de deux mots anglais, ’natural’ et ’happy’, note la jeune entrepreneure. Un mouvement né aux États-Unis dans les années 2000, et qui prône le retour aux chevelures crépues et naturelles.
C’est en 2019 qu’elle a abandonné ses études en relations internationales pour concevoir sa propre gamme de soins. "Soyez votre propre genre de beauté", vante son slogan.
Dans la cour de la concession familiale, à l’aide d’une de ses cousines, elle nettoie, moud et conditionne les poudres, huiles et pommades à base de Chébé. Sur ses emballages s’affiche un logo représentant une femme noire avec une imposante couronne afro.
Une fois par semaine, elle s’installe dans le hall d’un hôtel du centre-ville de N’Djamena fréquenté par des clients étrangers de passage ou expatriée, qui composent aujourd’hui la majorité de sa clientèle.
Parmi eux, Aloys de Gonzague Niyoyita, 50 ans un résident au Canada qui s’approvisionne à son stand à chacune de ses visites au Tchad. La longueur et l’apparente vigueur de ses dreadlocks, qu’il porte ramassées en couette, "c’est grâce à ces produits que j’applique", assure-t-il.
"Les gens me demandent si ce sont mes cheveux réels et je dis oui" s’amuse cet inconditionnel de produits africains qui se prend parfois à rêver, lui aussi, de commercialiser le Chébé.
"C’est un produit qui est presque devenu une fierté nationale", résume Nsibentum.