Idelfonso Nogueira, professeur du département d’Ingénierie Chimie de l’université norvégienne NTNU (Norvegian University of Science and Technology) et ses collaborateurs ont réussi à recréer deux formules parfumées à partir d’une intelligence artificielle [1].
Deux compositions recréées sous IA
Leurs travaux ont d’abord porté sur l’étude du profil olfactif de deux compositions parfumées. Le premier objectif a été de caractériser les fragrances selon leurs notes dominantes, à partir d’un modèle mathématique prenant en compte la valeur olfactive d’une sélection de molécules. Ainsi, les deux compositions ont été notées au score d’intensité maximal, l’une dans la famille des « coumarines », l’autre dans la famille des fragrances « alcooliques ».
La deuxième phase des travaux a visé l’entraînement de l’IA, un réseau neuronal artificiel. Pour cela, les chercheurs ont constitué une base de données de molécules connues associées à des notes parfumées spécifiques. Entraînée, l’intelligence artificielle a ensuite été capable de générer un ensemble de combinaisons de molécules olfactives recréant les deux compositions parfumées préalablement caractérisées.
Reproduire jusqu’à la pyramide olfactive
Recréer un parfum ne se résume pas seulement à l’assemblage de molécules. Pour reconstituer une senteur originale, un paramètre de taille est à prendre en compte : l’interaction de chacune de ses molécules avec leur environnement, déterminant le comportement olfactif global de la formule. En effet, notre perception olfactive peut véritablement être modifiée selon l’interaction des molécules avec leur milieu, comme l’air, l’eau ou notre peau. C’est cette notion que l’on retrouve dans le principe de la pyramide olfactive. Viennent d’abord les notes de têtes, constituées des molécules les plus volatiles, que nous percevons lors de la vaporisation du parfum ; puis les notes de cœur, qui se développent plusieurs heures durant après l’évaporation des notes de têtes ; et enfin, les notes de fond, qui peuvent faire perdurer le parfum plusieurs jours. Dans ses travaux, l’équipe du Pr Nogueira a, ainsi, pris en compte ce paramètre, et a pu sélectionner des molécules aux profils d’interaction les plus proches possibles de ceux des molécules des deux senteurs étudiées.
Afin de perfectionner leur création, les chercheurs ont souhaité réduire la marge d’erreur dans la sélection de molécules. Pour cela, ils ont, à nouveau, eu recours à l’IA pour minimiser les écarts de scores des notes entre les deux compositions cibles et leurs répliques obtenues par IA.
Au final, si leur création de la famille des coumarines présentait de légères différences, la senteur alcoolique était, en revanche, très fidèle à la composition cible.
Accélérer les processus créatifs
Il apparaît donc extrêmement complexe de reproduire la senteur d’une composition donnée. C’est pourquoi ces premiers travaux ont d’abord entraîné l’IA sur une base de données de molécules olfactives restreinte. Mais il est clair qu’une base de données plus étoffée, notamment en molécules plus complexes, offrirait des perspectives de reproduction bien plus étendues et plus fidèles. D’après le Pr Nogueira, ce procédé pourrait aider l’industrie de la parfumerie à élaborer des compositions plus rapidement, à moindre coûts, et plus durables.
Outre les parfumeurs, l’IA intéresse également les marques de soins et de maquillage afin de gagner du temps dans de développement des produits. Et la marge de progression est importante quand on sait qu’un développement peut prendre jusqu’à trois ans ! Ingrédients, textures et tests d’efficacité, sont les trois principaux champs d’apprentissage des algorithmes qui faciliteraient la mise au point de formules optimales en termes de coûts et de qualité, et répondant aux attentes des consommateurs.
Préserver le patrimoine olfactif
Au-delà de la copie à moindre coûts (temps de recherche réduits, rationalisation des matières premières) de parfums existants, cette application de l’IA ouvre la voie à de nombreuses autres possibilités. Comme recréer des odeurs du passé, une démarche chère aux historiens pour retracer les contours olfactifs d’une époque.
L’IA pourrait aussi permettre de sauvegarder des senteurs actuelles menacées d’extinction sous l’effet du réchauffement climatique ou de la mondialisation, comme la lavande de Provence, l’ylang-ylang des Comores ou encore la fève tonka du Venezuela.
Une fois de plus, l’intelligence artificielle se présente comme une vaste source d’innovation et de création, avec une application prometteuse dans l’industrie de la beauté. Outre l’inspiration qu’elle offre aux nez et formulateurs, elle apporte également des solutions d’optimisation et de personnalisation des produits, de quoi révolutionner rapidement les processus de développement des grandes maisons, mais aussi de permettre aux audacieux aux moyens restreints de se lancer à moindre coûts.
Article extrait du numéro spécial Ingrédients Cosmétiques, avril 2024. |