L’alcool éthylique ou éthanol, qui peut représenter jusqu’à 95% de la composition d’un parfum, fait l’objet d’une attention toute particulière de la part des fabricants souhaitant atteindre un index d’écoconception important. Un alcool « vert » peut leur permettre de réduire l’empreinte carbone du produit et d’afficher un engagement fort. Face à cette attente, différentes solutions et technologies émergent.
À partir de carbone recyclé
Développée par LanzaTech, la technologie visant à recycler le carbone émis par les usines pour en faire de l’éthanol a fait grand bruit lors de l’annonce par Coty, en 2021, du choix de cet alcool pour la conception de ses parfums. Un choix qui a abouti, au printemps 2023, au lancement du premier parfum Gucci contenant 100% d’éthanol issu de carbone recyclé.
Cette technologie offre deux avantages. Elle capte le carbone des émissions d’aciéries industrielles, réduisant ainsi les rejets à effet de serre dans l’atmosphère, puis le convertit par la biotechnologie en matières premières ou carburants durables. Une bactérie naturelle fermente le carbone contenu dans le gaz rejeté par les usines pour fabriquer une matière première déterminée. « Nous disposons de tout un portefeuille de biocatlysts sélectionnés pour leur potentiel à fermenter le carbone dans les émissions vers une centaine de matières premières différentes », explique Babette Pettersen, Vice President Europe de LanzaTech. Parmi ces matières figure l’éthanol qui une fois purifié, sera utilisé en parfumerie.
La production est faite à partir des émissions CO2 de quatre usines situées en Chine, et représente à ce jour 200 000 tonnes d’éthanol servant majoritairement le marché du carburant durable. « Pour chaque usine, nous réduisons ainsi les émissions de CO2 dans l’atmosphère de 150 000 tonnes par an », note la vice-présidente.
L’étape de purification de l’éthanol à destination de la parfumerie se fait ensuite en Europe. Elle intègre des spécifications exigeantes et propres à chaque marque.
Afin de répondre à une demande accrue de ses clients d’un sourcing 100% européen, LanzaTech vient d’inaugurer une première unité de biocatalyse en Belgique.
« Ce projet européen, débuté en 2015, est aujourd’hui opérationnel. Nous allons capter le carbone des émissions de l’usine ArcelorMittal à Gand et le fermenter pour produire un éthanol qui va servir les marchés européens de différents secteurs de produits du quotidien, dont la parfumerie ou les produits d’entretien », précise Babette Pettersen. Sa capacité de production de 64 000 tonnes d’éthanol ouvre des possibilités d’approvisionnement pour l’industrie du parfum. « Nous pensons ainsi avoir accès globalement à environ 600 000 tonnes d’éthanol ‘Carbon Smart’ d’ici 5 ans », indique-t-elle.
À partir de l’agriculture régénérative
De son côté, Cristalco, filiale du groupe Cristal Union, une des principales coopératives de la betterave sucrière en France, propose la première offre de sucres et d’alcools agroécologiques et bas carbone avec le programme Amplify™. Le projet repose sur des pratiques d’agriculture régénérative appliquées par une partie des agriculteurs adhérents de la coopérative. L’agriculture de régénération consiste à préserver les sols de l’érosion sur le long terme par différents moyens. En les couvrants par exemple de variétés végétales non collectées, pour les protéger des aléas climatiques, ou en limitant leur travail pour protéger la biodiversité.
Parmi les 4630 planteurs de la coopérative évalués à ce jour, 1116 répondent aux critères d’une agriculture de régénération quantifiés par l’indice de régénération IR.
« Ces betteraves issues de l’agriculture régénérative sont mises en commun avec les autres, et nous établissons alors un bilan massique. C’est un principe tout à fait accepté par nos clients et par les marques », explique Audrey Taffin, responsable marketing de Cristalco. Trois grandes marques du groupe LVMH — Parfums Christian Dior, Givenchy Parfums et Kenzo Parfums — s’intéressent d’ailleurs à cette démarche. Ces trois Maisons financent un projet d’accompagnement de la transition agroécologique de 380 hectares de cultures de betteraves dans la région Grand Est, pour produire l’équivalent de 45 % de leurs besoins en alcool selon l’approche du bilan massique.
« En général, les marques ne revendiquent pas la démarche directement sur les parfums mais plutôt au niveau global sur des engagements », note Audrey Taffin.
Le second volet de l’offre Amplify™ relève de la réduction des émissions de carbone. Cristal Union s’est engagé dans une vaste transition énergétique en faveur de ressources renouvelables qui lui a permis de réduire de 18 % ses émissions de CO₂ entre 2019 et 2022. Un plan qui permet aujourd’hui au groupe de proposer des sucres et alcools décarbonés. « Nous pouvons donc proposer des produits issus de l’agriculture régénérative et à bas carbone » résume la responsable.
À partir de légumineuses
Actuellement en phase de mise en production, l’entreprise Intact Regenerative travaille une autre approche fondée sur la culture régénérative et la transformation de plantes légumineuses. La démarche défend la durabilité de l’alcool à parfum par la réduction d’impact à la fois sur l’empreinte carbone, sur l’empreinte en eau et sur la préservation de la biodiversité. « Par nos technologies, nous allons réduire de plus de 80% les émissions liées à la production, consommer 75% d’eau en moins et agir sur la biodiversité par des plantes », déclare Alexis Duval, co-fondateur et président d’Intact Regenerative.
La technologie brevetée repose sur le choix de plantes légumineuses, pois ou féveroles. « Les légumineuses ont une incidence positive sur la vie des sols à la différence des cultures conventionnelles, elles sont régénérantes. Ce sont aussi des plantes mellifères que les abeilles butinent et elles permettent de réduire l’utilisation des pesticides car à un effet préventif sur le parasitisme », précise le dirigeant. Ces plantes présentent surtout l’avantage de fixer l’azote dans les sols, réduisant ainsi les besoins en engrais et donc les émissions liées à leur production.
Enfin, à l’inverse des cultures habituellement utilisées pour l’élaboration d’alcool à parfum (betterave, maïs, canne à sucre), les légumineuses permettent une extraction en voie sèche utilisant moins d’eau, ainsi qu’une fermentation et une distillation à faible consommation énergétique. « La somme de plusieurs innovations nous permet, sur l’ensemble des étapes, d’avoir des résultats notables en termes de durabilité. Nous parvenons aussi à réutiliser l’enveloppe des pois dans des chaudières biomasses pour fournir quasiment l’intégralité des énergies nécessaires », ajoute Alexis Duval.
L’alcool proposé par Intact Regenerative a reçu cette année le Prix Spécial « Coup De Cœur Cleantech » du salon Cosmetic 360. L’entreprise réalise ses premiers investissements pour une ligne de production basée à Baule près d’Orléans qui devrait être opérationnelle début 2025. Un système de pré-réservation permettra aux marques intéressées de se positionner et d’identifier les besoins.
À partir de co-produits végétaux
Spécialisée dans l’accompagnement à la valorisation des déchets agricoles pour les fournisseurs d’ingrédients en cosmétique et parfumerie, La Fabrique Végétale a développé un alcool durable 100% d’origine végétale upcyclé d’une source agricole française. « Nous ne pouvons pas communiquer pour l’heure sur la nature du co-produit car cela va faire prochainement l’objet d’un lancement avec un grand parfumeur français mais les performances sont très proches de l’alcool de betterave et de maïs avec des notes fruitées », précise Antoine Piccirilli, directeur technique et scientifique.
Comme tout produit issu de l’upcycling, la solution permet de ne pas entrer en concurrence avec la production agricole alimentaire et de s’inscrire dans une démarche circulaire. La capacité d’approvisionnement est aujourd’hui de l’ordre de 400 000 litres avec un volume important en bio et un potentiel de 5 millions de litres au moins à terme.
Cet article a été publié dans notre numéro spécial Fragrance Innovation, à lire ici dans son intégralité. |