Pourquoi la fougère comme indicateur ?
En 1882, la Maison Houbigant présente Fougère Royale, la première fougère jamais créée, établissant ainsi une nouvelle famille de fragrances qui est encore aujourd’hui la plus populaire pour les fragrances masculines. Les parfums de cette famille sont tous construits autour d’un même schéma : une tête bergamote et lavande, un cœur floral souvent à base de géranium ou de rose, et un fond coumarine, principale molécule de la fève tonka, ou d’un accord mousse de chêne. Un assemblage reconnu comme viril, vivifiant et dynamique par la gente masculine qui se l’ait rapidement approprié, notamment car cette odeur rappelle le savon à barbe utilisé chez les maîtres barbiers.
Dans les années 1990, l’évolution de l’homme dans la société est allée jusqu’à se traduire au coeur des flacons de parfums. Trois fougères iconiques sont venues perturber les codes établis en se complétant afin de redéfinir l’image de l’homme des années 1990 : CK One (Calvin Klein), XS (Paco Rabanne) et Le Mâle (Jean-Paul Gaultier). En faisant varier les éléments de base de la structure fougère, ils ont redéfini olfactivement l’essence de cette famille olfactive.
Fraicheur, virilité et force
La fraîcheur est évidemment la raison d’être de la fougère : assurer à l’homme un sentiment de propreté tout au long de sa journée, quelles que soient ses activités. C’est là tout le rôle du dihydromyrcenol avec sa fraîcheur aromatique aux accents fruités dans CK One, de la lavande et de la menthe dans Le Mâle ou des citrus dans XS.
La virilité est l’élément le plus intéressant de cette évolution. Dans CK One, elle se veut partagée, décontractée, ni agressive, ni dominatrice pour coller à l’image d’un Y à la fois décomplexé et bienveillant. Plus subversive dans Le Mâle, elle se définit hors du cadre de l’hétérosexualité et ne fait plus du parfum masculin un élément de séduction uniquement en direction des femmes. Surjouée, la virilité se veut quasi caricaturale, reprenant alors les codes du milieu gay, tout en collant à la structure de la fougère avec bien sûr des éléments aromatiques mais également du cumin et de la tonalide, un musc très terreux et résolument masculin. Avec XS, la virilité s’autorise à sortir des sentiers battus grâce à une belle note florale qui contrebalance le côté boisé épicé du parfum.
Enfin, la force car il n’y a pas de fougère sans puissance ni ténacité. Sa structure se veut par essence radiante afin de projeter la personnalité de l’homme vers l’extérieur. Dans les fougères des années 1990, cette puissance de projection est, d’un point de vue purement technique, assez novatrice. Sous ses faux airs de Cologne, CK One est un parfum linéaire mais puissant et tenace qui diffuse une fraîcheur musquée qui dure et défie la structure classique d’évaporation pyramidale.
Le Mâle explore des notes ambrées et orientales, que l’on retrouve déjà dans Brut de Fabergé ou Un homme de Caron. Vanille, tonka, note musquée et salicylates enveloppent l’homme d’un nuage durable de douceur mais aussi paradoxalement de sexappeal.
Enfin les notes boisées de patchouli et de vétiver de XS renvoient à des codes plus classiques, comme si l’homme en transition hésitait encore entre l’ancien et le nouveau monde.
Si les années 1990 ont déjà tout dit de la masculinité, pourquoi réinterpréter ce qui a déjà été réalisé de façon magistrale ?
Parfumeurs et marketeux de cette génération, aujourd’hui en position de leadership, regardent probablement avec nostalgie ces années qui les ont vu grandir. Ensuite, un certain nombre de matières premières iconiques de la parfumerie masculine font un retour extraordinaire. Fleur aromatique qui rajeunit les notes d’iris et de violette dans les parfums masculins, le géranium apporte une fraîcheur aux nuances roses, vertes et texturées qui révèlent un homme romantique qui n’a pas peur d’être lui-même. Grâce aux nouvelles méthodes de fractionnement, le vétiver se veut plus subtil pour un homme à la fois viril et entretenu. Sans oublier que la palette se diversifie et explore des notes non stéréotypées pour offrir une explosion de sensations. Les parfumeurs tordent de façon ludique des notes rétro masculines aux facettes comestibles pour une interprétation moderne de la sensualité masculine. Les fèves grillées - cacao, tonka ou café - sont souvent utilisées, et leurs riches nuances offrent une caresse opulente. Les fruits qui créent une dépendance, tels que la noix de coco, l’ananas et la cerise, ajoutent à l’audacieuse empreinte masculine.